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quefois M. Tyrrel se retournait vers elle avec un regard dur et impatient qui la faisait trembler. Cependant ces accès d’humeur cédaient bien vite à son enjouement naturel, et elle revenait à ses anciennes habitudes.

Enfin, une circonstance vint contribuer à augmenter encore l’aigreur de M. Tyrrel et mettre un terme au bonheur dont avait joui jusqu’alors miss Melville en dépit de la fortune contraire. Émilie avait précisément dix-sept ans quand M. Falkland revint du continent. À cet âge, elle était particulièrement susceptible de se laisser séduire par les agréments de la figure et les belles qualités de l’âme, quand ces charmes se trouvaient unis dans une personne de l’autre sexe. Elle était imprudente précisément, parce que son cœur était incapable de déguisement. Elle n’avait jamais senti le malheur de la pauvreté à laquelle elle était condamnée, et n’avait pas réfléchi à la distance immense que la fortune a mise entre les diverses classes de la société. Elle vit M. Falkland toutes les fois qu’il se rencontra avec elle dans les assemblées publiques, et elle le vit avec admiration, sans se rendre précisément compte à elle-même du sentiment qui l’entraînait. Elle suivait des yeux, avec inquiétude, ses moindres mouvements : elle ne voyait pas en lui, comme le reste de l’assemblée, l’homme né pour posséder une des plus belles terres de la province et fait pour prétendre à la main de la plus riche héritière. Elle ne voyait que Falkland, orné de ces avantages qui tenaient plus intimement à sa personne, et dont aucun