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tous les gentilshommes du pays. Le lecteur connaît les ouvrages de ce poëte illustre ; souvent sans doute il les a goûtés avec délices, et je n’ai pas besoin d’en vanter le mérite. Mais peut-être ne connaît-il pas de même les qualités personnelles de M. Clare ; peut-être ne sait-il pas que sa conversation était presque aussi digne d’admiration que les productions de sa plume. Dans la société, il paraissait le seul qui ne connût pas toute l’étendue de sa renommée. Ses écrits demeureront longtemps comme une preuve éclatante de la hauteur où l’esprit humain est capable d’atteindre ; mais personne n’a su apercevoir, avec autant de sagacité que lui, les défauts qui s’y trouvaient ou ce qui restait encore à y faire. Lui seul semblait porter sur ses ouvrages un regard de supériorité et d’indifférence. Un des traits qui le distinguaient le plus, c’était une douceur de mœurs inaltérable, une élévation d’âme qui lui faisait voir les fautes des autres sans le plus petit mélange de ressentiment, et qui rendait impossible pour qui que ce fût d’être son ennemi. Il indiquait aux hommes leurs erreurs franchement et sans réserve ; sa censure excitait la surprise et entraînait la conviction, mais sans affecter jamais péniblement la personne qui en était l’objet. Telles étaient les qualités morales qui le distinguaient dans la société habituelle ; les qualités intellectuelles qu’il y déployait, c’était principalement un enthousiasme doux et éloquent, qui s’exprimait dans son langage avec une verve si abondante, que la réflexion seule et la mémoire pouvaient vous faire apercevoir l’étonnante variété