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esprit rodomont avait pour elles un charme tout particulier ; et voir cet Hercule troquer à leurs pieds sa massue contre une quenouille, était le spectacle le plus séduisant pour leur vanité. Elles étaient enchantées de sentir qu’elles pouvaient en toute sécurité folâtrer avec les griffes terribles de ce lion qui portaient l’épouvante dans le cœur des plus vaillants.

Tel était le rival que la fortune eut le caprice d’opposer à un homme accompli comme Falkland. Cette sorte de brute, farouche, mais non sans intelligence, eut le pouvoir d’empoisonner pour jamais l’avenir de l’homme le plus fait pour goûter et répandre le bonheur. La haine qui s’éleva entre eux fut nourrie par le concours de différentes circonstances, jusqu’à ce qu’enfin elle devînt extrême ; et c’est parce qu’ils ont été l’un pour l’autre ennemis mortels que je me suis vu moi-même un objet de misère et d’aversion.

L’arrivée de M. Falkland porta un terrible coup à l’autorité de M. Tyrrel dans le village. Le premier n’était nullement disposé à s’éloigner des lieux de rendez-vous de la bonne compagnie ; mais lui et son rival étaient comme deux astres que l’ordre de la nature a destinés à ne jamais paraître à la fois sur l’horizon. Il est évident que la comparaison était tout à l’avantage de M. Falkland ; mais quand il en eût été autrement, les sujets de son rustique voisin n’étaient que trop disposés à secouer son joug insupportable. Ils s’étaient soumis à lui jusqu’à ce moment par crainte et non par amour ; s’ils ne