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paiser l’indignation de Lucretia. L’honneur s’opposait à ce qu’il pût lui apprendre le cartel, quoiqu’il fût bien résolu au fond de l’âme de ne jamais tirer l’épée dans cette querelle. La moindre ouverture sur cet article eût bientôt désarmé cette fière beauté ; mais, si elle avait quelque crainte de ce genre, ce n’était qu’une crainte trop vague pour la déterminer à se départir en rien de son ressentiment. Toutefois M. Falkland lui fit un tableau si intéressant du trouble où elle avait jeté Malvesi, il excusa, par des raisons si flatteuses pour elle, les emportements de sa conduite, qu’il finit par vaincre tout à fait le courroux de Lucretia. Quand il vit son projet près de réussir, il ne balança plus à lui tout découvrir.

Le lendemain, le comte Malvesi, exact au rendez-vous, se présenta chez M. Falkland : celui-ci vint à la porte le recevoir, et le pria d’entrer un moment dans la maison, où il avait une affaire de trois minutes à terminer. Ils passèrent dans le salon. M. Falkland y laissa le comte, et l’instant d’après il reparut, tenant par la main la belle Lucretia elle-même, parée de tous ses charmes, que relevait encore en ce moment l’air de noblesse et de triomphe d’une femme généreuse qui veut bien faire grâce. M. Falkland la conduisit vers le comte, qui était pétrifié d’étonnement ; pour elle, posant sa main sur le bras de son amant, elle lui dit du ton le plus aimable : « Me pardonnerez-vous de m’être laissé trahir par ma fierté offensée ? »

Le comte, transporté, croyant à peine ses yeux et ses oreilles, se précipita à ses genoux en balbutiant