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Pendant que je parlais ainsi, cet homme me regardait avec de grands yeux. Il était si peu accoutumé à de pareilles réprimandes, qu’il pouvait à peine en croire ses oreilles ; et le ton dont je lui parlais était si ferme, qu’il parut oublier un moment que je n’avais pas la liberté de me remuer. Mais aussitôt qu’il eut eu le temps de se calmer, il ne daigna pas même se mettre en colère. Il me regarda avec un sourire de mépris, et puis, faisant claquer ses doigts devant moi en signe de moquerie, et tournant sur son talon : « Bien dit, mon jeune coq, s’écria-t-il, chantez, chantez tout votre soûl ; prenez garde seulement de vous étrangler ! » et il ferma la porte sur moi, en contrefaisant la voix du volatile auquel il me comparait.

Cette réplique me rappela aussitôt à moi-même, et me fit voir toute l’impuissance de mon ressentiment. Mais s’il était venu à bout par là de refroidir mon accès de colère, les tortures de mon corps étaient toujours de plus en plus cruelles. Je me déterminai donc à tenter un autre genre d’attaque. Le même geôlier revint au bout de quelques minutes, et, comme il m’approchait pour poser à terre quelque nourriture qu’il avait apportée, je lui glissai un shelling dans la main, en disant : « Mon cher camarade, pour l’amour de Dieu, appelez un chirurgien ; je suis sûr que vous ne voudrez pas me laisser périr faute de secours. » Le drôle mit le shelling dans sa poche, me jeta un regard assez dur, et sortit en branlant la tête sans proférer une syllabe. Le chirurgien parut aussitôt, trouva la jambe malade très-enflammée,