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jour par jour, les suites de plusieurs faits et incidents de l’histoire, tels qu’ils sont rapportés par nos plus célèbres auteurs. Je devins aussi poëte ; je me mis à décrire la magnificence et la fécondité de la nature, à exprimer les grands traits des passions, et à partager, avec tout le feu de l’enthousiasme, les élans d’une âme généreuse, trompant ainsi le dégoût et l’ennui de ma solitude, pour parcourir en idée toutes les scènes du monde. Quant à ce besoin qu’éprouve toujours l’esprit humain de se rendre compte de ses progrès, je trouvai facilement des expédients pour y suffire, à défaut de plumes et de livres.

Au milieu de ces occupations, je voyais avec un transport de joie et de triomphe, jusqu’à quel point l’homme est indépendant des faveurs ou des rigueurs capricieuses de la fortune. J’étais hors de la portée de ses coups, car elle ne pouvait me mettre plus bas. Aux yeux de tout le monde je semblais être dans un état de détresse et de misère, tandis que, dans la réalité, je n’éprouvais pas un besoin. Ma nourriture était grossière, mais je jouissais d’une bonne santé. Mon cachot était infect, mais mes sens s’y étaient accoutumés. Si l’exercice en plein air m’était interdit, je savais en prendre dans mon cachot, de manière même à provoquer la sueur. Je n’avais aucun moyen de délivrer ma personne d’une compagnie qui ne pouvait inspirer que de l’aversion et du dégoût, mais j’eus porté bientôt jusqu’à la perfection l’art d’y soustraire mon âme, en sorte que je ne voyais ni n’entendais les gens qui m’en-