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de moi, et ma pensée devançait déjà la mort prématurée que tout me présageait ; je redescendais au fond de mon cœur ; je n’y trouvais que l’innocence, et je me disais : « Voilà donc ce que c’est que la société. Voilà cette distribution de justice qui est le but de la raison humaine ! Voilà le fruit des méditations des sages, l’ouvrage auquel ils ont consacré tant de veilles ! Le voilà ! »

Le lecteur me pardonnera de m’être écarté du principal sujet de mon histoire par cette digression. S’il trouvait que je me suis laissé aller à des remarques générales, qu’il se souvienne que celles-ci sont le résultat d’une expérience chèrement payée. C’est de la plénitude d’un cœur qui ne peut plus se contenir que l’invective coule de ma plume. Ce ne sont pas les déclamations d’un homme qui prétend à l’éloquence. Les fers de cet esclavage ont torturé mon âme.

Je ne pouvais pas croire que tant de misère et d’infortune fût jamais tombé en partage à aucune créature humaine. Je me rappelais avec surprise mon empressement puéril à faire juger ma conduite et à démontrer mon innocence. Je le détestais comme l’effet de la plus sotte et de la plus insoutenable pédanterie. Je m’écriais, dans l’amertume de mon cœur : « Hé, qu’est-ce donc que la réputation ? C’est un hochet d’enfant pour amuser les hommes. Si j’avais su mépriser cette chimère, je pourrais jouir de la tranquillité de mon cœur, goûter les biens de la paix et de la liberté, et entretenir dans de douces occupations l’activité de mon esprit. Et