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teurs. Il était vivement indigné contre moi de ce que j’avais ainsi retenu tout mon ressentiment contre lui pour l’en accabler, à ce qu’il semblait, dans les derniers moments de son existence. Cette indignation s’augmenta encore bien davantage quand il crut s’apercevoir que, pour rendre cet acte d’hostilité plus poignant et plus mortel, j’affectais tous les dehors du sentiment et de la générosité. Mais, à mesure que je continuai, il ne lui fut plus possible d’y résister. Il ne put méconnaître ma sincérité ; il fut pénétré de ma douleur et de l’intensité de mes remords. Soutenu par quelques-uns des assistants, il se leva de dessus son siège, et… à mon extrême surprise… il se précipita dans mes bras.

« Williams, dit-il, vous avez vaincu ! je vois trop la grandeur et l’élévation de votre âme. Je sens que je me suis perdu moi-même, que c’est l’excès de ma jalouse inquiétude qui m’a seul précipité dans l’abîme, et que je n’ai rien à vous imputer. J’aurais bravé tout ce que la haine et l’animosité auraient pu vous suggérer contre moi. Mais, je le vois, la simplicité touchante et énergique de vos paroles a porté la conviction dans tous les cœurs. Tout est fini pour moi. Ce que j’ai le plus ardemment désiré m’est enlevé pour jamais. J’ai souillé ma vie d’une longue suite de basses cruautés pour couvrir un acte d’égarement passager et ne pas être en butte aux injustes préjugés du monde. Le voile sous lequel je me cachais est entièrement tombé. Mon nom sera voué à l’infamie, tandis que votre héroïsme, votre constance et vos vertus exciteront à jamais