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donner ce qui était pour moi dans ce moment la dernière consolation possible de ma malheureuse vie, une consolation dont je ne pouvais détacher mes pensées à l’instant même où je consentais à la perdre. La candeur et l’ingénuité de mes sentiments affectèrent profondément M. Collins. Une voix secrète lui disait : « Est-ce ainsi que parle l’hypocrisie ? Si cet homme est vertueux, c’est un des hommes du monde dont la vertu est la plus désintéressée. » Nous nous arrachâmes l’un à l’autre. M. Collins me promit d’avoir toujours, autant qu’il serait en lui, l’œil sur moi dans la suite de mes vicissitudes, et de me donner tous les secours qui seraient compatibles avec ce que la prudence lui prescrirait. Ce fut ainsi que je me séparai de celui que je pourrais nommer la seconde moitié de moi-même, et que je me résignai volontairement à attendre, dans cet état de mutilation et de délaissement, tous les maux que le sort pouvait me réserver. C’est là le dernier incident qui me semble, pour le moment, mériter d’être rapporté. Je ne doute pas que dans peu je n’aie encore occasion de reprendre la plume. Mes souffrances jusqu’ici ont été sans exemple, et pourtant je sens au-dedans de moi la conviction intime que le sort m’en réserve encore de plus grandes. Quelle cause mystérieuse peut donc me donner la force d’écrire ces mémoires, et m’empêcher de succomber à la terreur dont je suis frappé ?