Page:Godwin - Caleb Williams, II (trad. Pichot).djvu/246

Cette page a été validée par deux contributeurs.

peu de probabilité de cette supposition, en vain je me disais : « M. Falkland, tout ingénieux et fécond qu’il est dans ses ressources, n’agit pourtant que par des moyens humains et non surnaturels. Il peut bien m’atteindre par surprise et d’une manière tout à fait au-dessus de ma prévoyance ; mais encore ne peut-il produire d’effets remarquables sans quelque agent sensible, quelque difficile qu’il puisse être d’en suivre la trace jusqu’au premier moteur. Il n’est pas comme ces êtres invisibles qu’on suppose se mêler quelquefois des choses humaines, qui volent partout sur l’aile des vents, et qui, s’enveloppant de nuages et de ténèbres impénétrables, versent la désolation sur la terre. »

C’était ainsi que je cherchais à tromper mon imagination, pour me persuader que mes malheurs actuels avaient une autre source que les premiers. Croire encore à l’existence et à la continuité de ma première chaîne d’infortune était la plus épouvantable des idées possibles, auprès de laquelle tout autre mal n’était rien. D’une part, l’incohérence de mes réflexions sur ma situation présente, si je n’y faisais pas entrer pour quelque chose les machinations de M. Falkland ; de l’autre, la seule possibilité d’avoir encore à lutter contre sa haine après une suspension de plusieurs semaines, une suspension que j’avais crue éternelle, ces deux genres de torture me déchiraient en sens contraires. C’était un siècle qu’un intervalle de quelques semaines pour un homme aussi profondément malheureux que je l’avais été pendant longtemps. Mais tous mes