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manité semblaient encore tempérer sa passion. Il prescrivait à cette passion des bornes assez vastes pour y embrasser tout ce qui pouvait servir à satisfaire ses vues ; mais c’était la ligne à laquelle il s’arrêtait. Toutefois, cette découverte n’apportait à mon âme aucune consolation. Je ne pouvais deviner quelle portion d’infortune j’étais destiné à endurer, avant que sa farouche jalousie et son insatiable soif de réputation pussent se trouver satisfaites.

Il se présentait une autre question. Devais-je recevoir l’argent qui venait d’être remis dans mes mains, l’argent d’un homme qui m’avait causé des maux moins cruels sans doute que ceux qu’il s’était faits à lui-même, mais enfin les plus grands qu’un homme pût infliger à un autre, l’argent d’un homme qui avait flétri toutes les espérances de ma jeunesse, qui avait anéanti mon repos, qui m’avait rendu un objet d’exécration pour tous les hommes et avait fait de moi un malheureux proscrit sur la face de la terre, qui avait fabriqué contre moi les plus basses et les plus noires impostures, et qui les avait soutenues avec une constance qui leur avait donné universellement toute la force de la vérité ; qui m’avait voué, il n’y avait qu’une heure, une haine implacable, et avait juré de ne mettre aucun terme à sa persécution ? Une telle conduite de ma part ne supposerait-elle pas une âme abjecte et lâche ? Ne semblerais-je pas ramper devant mon tyran et baiser une main toute fumante de mon sang ?

Si ces raisons me paraissaient fortes, il ne laissait pas que d’y en avoir d’autres pour y répondre.