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d’être poursuivis : rien n’est plus incertain que la vie d’un voleur. Pendant la nuit, la vieille avait été occupée à apprêter le repas qui les attendait à leur retour. Quant à moi, j’avais pris d’après eux l’habitude de ne plus songer au retour régulier des différentes parties de la journée, et de faire, jusqu’à un certain point, du jour la nuit et de la nuit le jour.

Il y avait déjà plusieurs semaines que j’étais dans cette demeure, et la saison était fort avancée. J’avais passé quelques heures de la nuit à méditer sur ma situation. Le caractère et les mœurs des gens parmi lesquels je vivais avaient quelque chose qui me causait un véritable dégoût. Leur ignorance grossière, leurs habitudes farouches et leurs manières brutales, au lieu de me paraître plus supportables avec le temps, ne faisaient qu’ajouter de jour en jour à l’aversion qu’elles m’avaient inspirée dès l’origine. Je ne pouvais pas rapprocher la force d’esprit extraordinaire et l’extrême fertilité d’invention qu’ils déployaient dans l’exercice de leur métier, avec l’odieux de ce métier et leur dépravation habituelle, sans éprouver des sensations si pénibles, qu’elles me devenaient intolérables. La vue du mal moral me semblait être, au moins pour un esprit qui n’est pas encore dompté par la philosophie, une des sources les plus fécondes de malaise et de tourment. La société de M. Raymond ne me soulageait nullement de ce genre de peine. Il était à une distance immense de ses vicieux compagnons ; mais je n’en étais pas moins vivement affecté de le voir ainsi hors de sa