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Premier Péché

navrée devant cette jeunesse radieuse à jamais morte, et qui dans sa mort pardonnait au meurtrier, et payait son crime par l’amour.

Les yeux de la sensible religieuse s’ombraient de tristesse. La pauvre folle cherchait dans son coffret ; elle en sortit une miniature, — la sienne, — fraîche comme une rose naissante. Avec une gaieté enfantine, elle disait maintenant :

— Vous donnerez mon portrait à Pierre, il me trouvera jolie, et pour qu’il reconnaisse mon écriture, je vais mettre mon nom tout au bas.

Quand elle eut écrit elle porta la photographie à ses lèvres :

— Ne lui dites pas cela ! menaça-t-elle avec un geste mutin.

S’en allant, elles entendirent le piano qui chantait, mais cette fois-là des notes joyeuses.

La pauvre espérait, elle avait oublié l’heure d’agonie ; le voile en se baissant sur la vie de la petite, avait dérobé aussi l’heure terrible. Sa folie était une attente, et non une sensation d’irréparable.


***

Ce matin la petite folle n’a pu se lever, sa jolie tête s’alanguit sur l’oreiller et ses yeux ont des lueurs plus douces ; il flotte un sourire vague sur sa bouche pâlie. Soudain, voilà qu’il tombe des roses sur elle ; bientôt, la frêle créature en est couverte, et sa petite figure s’illumine d’une vision toujours rêvée. Elle en ramène toute une moisson à ses lèvres, et la baise avec ferveur.

— Les roses de Pierre ! entendit la religieuse qui en jetait, en jetait encore.

Oui, les roses que Pierre avait cueillies lui-même, au buisson d’autrefois…

Madame X. avait tenu sa promesse.

Maintenant Valérie, la folle blonde, murmure :

— Il va venir !  !  !

Toute son âme vibre dans ces mots. Elle les répète encore, plus bas, tout bas, très bas…

Pierre !…

La petite amoureuse dort parmi les roses, qui s’attristent de cette grâce morte, pendant qu’elle sourit toujours.

La martyre a soldé la dette expiatoire. Du ciel, elle jettera le calme et l’oubli dans l’âme de celui qu’elle n’a pas su haïr.

Valérie, la jolie folle n’a jamais connu que les roses et l’amour.