Page:Gleason - Premier péché, 1902.djvu/8

Cette page a été validée par deux contributeurs.
8
Premier Péché

où brûlent sans se consumer toutes les ardeurs, tous les enthousiasmes, toutes les espérances d’une race.

Tous les ans, nous apportons un éclat plus vif à la célébration de la Saint-Jean-Baptiste, comme une frappante preuve que la nationalité canadienne se fortifie d’année en année, et se sent devenir de plus en plus grande ; de là, le besoin de se réunir, de s’affirmer, et de se dire avec un légitime orgueil : « Nous grandissons ! » La Saint-Jean-Baptiste, beaucoup protestent contre cette date de fête nationale, ont-ils raison ? je n’en sais rien, mais une touchante coutume nous réunit depuis longtemps, ce jour-là, et la changer nous paraîtrait porter atteinte à nos traditions. Qu’importe le jour, puisque c’est la fête de la race que nous chômons avec tant d’enthousiasme ; puis le 24 juin est une fête qui embaume les lilas, la nature est en coquetterie, et les érables balancent amoureusement leurs branches parées de ces fines et élégantes feuilles si jolies à nos yeux, si chères à notre cœur. Il fait si bon de chanter la joie, quand tout autour de nous respire la plus pure allégresse.

Et dire que nous marchons avec un drapeau emprunté, n’y a-t-il pas de quoi protester ? Ne pouvons-nous voir flotter sur nos têtes le drapeau canadien, celui qui enflamme les courages et inspire les héroïsmes ; celui dont nous pourrions dire, avec amour, aux soirs de luttes, lorsque les balles l’auront sacré grand, à nos fils curieux : « Ce chiffon-là, c’est la patrie ! » Oui, ce morceau d’étoffe qui se balance dans les airs, c’est la patrie !

Et notre patrie à nous !

Le Canadien aime les « trois couleurs », c’est la France des anciens jours qu’il vénère dans la nouvelle, il est habitué à regarder ce pavillon comme sien, et n’y aurait-il pas cruauté à le lui ravir ? — Il semblerait que c’est un morceau de son cœur qu’on lui arrache violemment, et il aurait une nostalgie désespérée de ce « bleu, blanc, rouge. » Oh ! laissons-le lui, mais seulement, mettons sur l’étendard glorieux, des feuilles canadiennes, et, les larmes aux yeux, en le baisant, nous verrons l’enfant reposer sur le sein de la mère. Oh ! dormir là, toujours, c’était jadis notre souhait, nous avons été réveillés brutalement, et fils orphelins, il nous a fallu lutter un combat terrible, où nous avons tremblé souvent de laisser la vie.

Maintenant nous sommes sauvés, et là, tout au fond du cœur, nous gardons l’image attendrie et souriante de la Mère chérie ; la miniature est toujours ravissante, et le temps, loin d’en effacer les contours, semble aviver l’éclat de ses couleurs. Nous l’avons placée dans un cadre d’amour et rien n’en ternira les ors délicats ; un enfant n’oublie pas sa mère, un Canadien aime toujours la