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Premier péché

Bal Blanc


Ah ! que c’est amusant le bal ! disait la blonde débutante, fine et gracieuse dans sa fraîche toilette. Le tulle vaporeux l’enveloppait comme d’un nuage, et dans le tourbillon des danses, ses petits pieds touchaient à peine le parquet. Emportée dans un rêve, elle ne savait plus, elle ne pensait plus, elle se laissait aller au doux bercement des phrases flatteuses qui, en retentissant pour la première fois à ses oreilles, troublaient délicieusement son cœur.

On lui avait dit qu’elle était charmante, on lui avait soufflé qu’elle était jolie et spirituelle, et à la troisième invitation, le beau danseur remarqué entre tous lui enveloppait une déclaration dans une de ces phrases banales, empruntées au vocabulaire des polichinelles de salon.

Rougissante, son petit cœur battant à tout rompre, trop émue pour parler, elle inclina sa blonde tête pour cacher l’incarnat des joues, pendant que dans son cœur se chantait une harmonie exquise.

Lui, souriait, flatté une fois de plus de l’habituel succès de ses mots troublants. Il s’amusait à les souffler à toutes les naïves fillettes qui, entrant dans la vie le sourire aux lèvres, l’âme illusionnée, tendent leurs oreilles roses pour toutes les belles phrases : jolies ignorantes qui sauront trop tôt le vide de ces cœurs sur lesquels leur grâce, jeune, est impuissante.

Une rose de son corsage tombe à ses pieds et lui, s’en emparant, la porte à ses lèvres, et la cache vite dans un calepin. Pauvre calepin, que d’étouffements de roses entre ses plis, soigneusement doublés de satin… petites mortes incinérées à la flamme du joyeux feu de cheminée. Et celle-là, ce soir même, ira se consumer pendant que la jolie enfant ébauchera son rêve de bonheur dans la chambrette bien close…

Le bal continue toujours. On cause à peine, on danse beaucoup, et la débutante emportant le dernier regard ému qui s’est fixé sur elle, se retire dans un coin sombre d’où elle peut regarder, bien tranquille, la foule brillante.

Elle se sent heureuse du bonheur rêvé, et comprimant son petit cœur, elle répète :

Oui, ce doit être cela, l’amour !

Elle veut le regarder, lui, souffrant déjà de le voir sourire à d’autres : cela lui semble un vol contre lequel toute son âme proteste.