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Premier péché

L’une était la compagne chérie de toutes les luttes ; elle était le grand soutien des heures pénibles, le rayon pur des ciels nuageux, l’incarnation de la plus vive tendresse ; elle était la compagne de l’écrivain, se pliant à tous les caprices d’un esprit fantasque et fatigué qui, cherchant dans la vie mieux que la vie, se révoltait parfois contre les trahisons de son rêve d’idéal. Il est de ces êtres rares et malheureux échoués sur la terre, s’y sentant perdus, ayant en eux une soif inapaisée de sublime et de poésie qu’ils chercheront toujours par delà l’éther. Ils regardent, scrutant l’horizon de leur œil d’aigle, et sentant gémir en eux l’éternelle désillusion…

Et l’amie de toutes les heures assistait à une nouvelle lutte, se faisant silencieuse pour ne pas troubler, même par l’éclat de la voix aimée, le respect d’une envolée dans les sphères inconnues.

L’autre était une petite amie, connue depuis toujours, enfant du vétéran dont on avait partagé les joies et les peines, petite orpheline dont on avait vu le blanc berceau, et ce sourire de jeune fille mettait un clair rayon dans l’intérieur un peu sombre… « fleur éclose près du tronc rugueux d’un vieux chêne attristé par les ans, et qui se rajeunit de ce frais printemps, » disait-il.

Tout était silencieux dans le petit salon : lui songeant toujours, elles, attendant, incapables de troubler d’un mot maladroit l’attendrissement de cette rêverie…

Puis comme s’il voulait se vider le cœur de tout son contenu de larmes, il s’empara d’un volume, et du chapitre triste de toute une vie manquée il fit la lecture. Intitulées Desperanza, ces lignes vibraient toute la tristesse d’une âme, et l’on y sentait ce cri d’angoisse qui fait frissonner lorsque l’on en saisit le sens impérieux.

Mère ! Oui, mère ! À cet homme, une mère avait manqué, et à 60 ans, il pleurait encore la vision blanche de ses rêves d’enfant. On ne sait pas ce que l’absence d’un sourire peut faire couler de larmes… on ne peut comprendre, sans l’avoir pleuré soi-même, ce que l’absence d’un cher regard peut causer de sanglots… non, on ne sait pas… On ne devine pas l’horreur des petits lits où, dans les blanches couvertures, l’enfant enfouit sa tête blonde pour étouffer les cris : Maman, maman ! Donnez-leur de la tendresse à ces petits êtres, embrassez-les, choyez-les… qu’ils demanderont encore dans la solitude de leur cœur ce quelque chose d’inexprimable, inconnu nécessaire dont l’absence mettra sur leur vie son voile de regrets… Une mère en donnant la vie, donne aussi l’amour. Et cet amour-là, c’est le tribut qu’on n’offre qu’à elle, pleurant toujours de ne pouvoir lui prodiguer cette part si pure de l’essence même de l’âme.

Dans un long déchirement, l’écrivain renommé, dont la plume avait eu les sarcasmes des luttes terribles, les ironies sanglantes, criait toute sa douleur. Sa plume disait, en une plainte, l’enfance