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Premier Péché

autrefois le ravissant murmure des flots, elle s’endort sur les énormes rochers et vit ses heures de rêverie dans l’enfoncement de grottes idéales. Lorsqu’elle revient bercer sa mélancolie aux accords tant aimés, le Saint-Laurent cache son sourire pour ne pas humilier la petite belle qui l’aime tant. Délicatesse profonde pour l’amour vrai qui se fait toujours entendre même au cœur des eaux.

Plus loin… Mais fermez les yeux, puis doucement avec une caresse paresseuse de votre paupière, ouvrez-les pour regarder à vos pieds tout ce qui se conçoit de joli, de fantaisiste, de fin, de délicat. Un simple sourire du nord égaré dans le sud, et un sourire qui est tout un poème : c’est le Bic. Imaginez dans une mignonne rivière, des islets chevelus, de sombres têtes de rochers où se sont cramponnés les sapins dans une étreinte de noyé, tout cela dans les vagues vertes, avec pour fond de tableau des énormes montagnes qui dressent leurs cimes altières jusqu’au ciel, dans leur éternel défi ; et en avant les étendues incomparables d’un fleuve qui donne l’illusion de l’Océan. Le Bic a un genre unique de beauté ; son pittoresque a de la grâce, une grâce jeune, ravie d’être belle — petite sauvage, coquette sans le savoir avec ses rustiques atours.

Puis une légende auréole d’une lueur de pitié une de ses îlettes, celle appelée Au Massacre et dont une sombre caverne presque inaccessible garde les cendres des morts (Micmacs, je crois) immolés par la férocité des Iroquois.

Le Bic était sans doute le séjour idéal des premiers enfants du pays, qui dans leur poésie primitive, ne connaissaient que la sublime mélodie : celle qui chante dans la nature !

Et filant toujours, un violent coup de sifflet me fait sauter le cœur. C’est là !… Rimouski. Je suis dans les bras des amies, de ceux qui m’ayant vue sans cesse partir, n’ont pas oublié encore que j’étais une des leurs, et que le besoin de respirer l’air natal me ramènerait toujours là, où reste à jamais quelque chose de moi.

C’est avec ravissement que je le revois mon vieux Rimouski, qui, confiant en ses charmes toujours, s’est avisé, ces derniers temps, de revêtir toilette nouvelle. C’est qu’il a l’air jeune, tout jeune ainsi et nargue d’un sourire moqueur, sa vieille amie, l’Isle Saint-Barnabé, qui fait mine de ne pas le reconnaître. Elle lui en veut sans doute, de sa métamorphose, elle, condamnée à sa parure verte qui lui paraît peut-être surannée, et dont nous admirons, nous, si complètement la fraîcheur.

Cher Rimouski ! C’est tout ce qui me vient aux lèvres, pendant que j’aspire avec délices les brises salines, et que de tous mes yeux, je regarde les endroits à souvenirs. Et il y en a partout !

Belle petite ville !… Est-ce jolie ?… Le sais-je… n’est-ce pas