Page:Gleason - Premier péché, 1902.djvu/15

Cette page a été validée par deux contributeurs.
15
Premier Péché

Ma calèche est conduite par un cocher fin et gouailleur, un vieil ami, connu depuis toujours, et qui manifeste énergiquement sa satisfaction de me promener encore sur nos chemins rocailleux ; la voiture poursuit sa marche au milieu du petit village, où chaque figure, chaque maison, je pourrais dire chaque pierre (et il y en a des milliers) me crient : bonjour ! Je ne trouve pas assez de sourires pour remercier cette vieille et chaude amitié, mais des sœurs plus éloquentes parlent pour eux, les larmes de joie ne sont-elles pas le plus touchant merci ?

La petite rivière Malbaie chantait, chantait, et les cailloux sur lesquels elle miroitait claire et limpide, avaient aussi un air de fête, et me mirant dans l’onde calme, je disais : me reconnaissez-vous ? et les petits poissons qui ont gracieuse mémoire, murmuraient à l’envie : « oui, oui ! » Elle était si gentille, avec son gazouillis d’amoureuse, la fine rivière, que j’oubliai les terribles colères qui la faisaient sortir de son lit, grondeuse, écumante, renversant tout sur son passage, et portant la désolation dans les paisibles hameaux ; car les terres qu’elle arrose se subdivisent en une infinité de villages. Il y en a de tous les genres, conséquemment de tous les goûts.

À la voir ainsi couler, la rivière Malbaie, calme et chantante, se perdant parfois dans les sinuosités d’un terrain capricieux, effleurant à peine des blocs énormes, se cachant ensuite sous un ciel opaque d’aulnes et de joncs, on ne se douterait jamais de sa malice tant elle paraît dormeuse et insouciante. Méfiez-vous de l’eau qui dort.

Le village principal est bâti sur les deux rives reliées par un beau pont de fer, et à la suite s’étendent de superbes champs, quelques-uns grimpant dans les montagnes ; on y voit des ravins, des buttes, des mamelons ; les troupeaux paissent dans les vallons ; mais en dépit de cette nature accidentée, les terres sont très productives. Ces inconvénients ne sont rien pour l’ardeur des braves Malbaiens, aidés de ces petits chevaux du nord à jarrets d’acier, qui font l’ascension des côtes les plus escarpées avec une sorte de désinvolture.

La Malbaie est, dit-on, la Suisse canadienne ; vous gravissez encore, toujours, et vous ne vous lassez pas de ces pentes raides, sachant que sur le haut des monts, vous découvrez une splendeur inconnue. Dans les grands bois, vous entendez parfois de sourds grondements, et vous apercevez ensuite une énorme chute surgie d’on ne sait où, et qui cascade ses blancs bouillonnements sur les grosses roches, comme dans une rage de ces obstacles posés sur sa route. Et ces spectacles se renouvellent à perpétuité ; la Malbaie est inépuisable, vous la voyez encore et toujours, mais vous ne