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Premier Péché

Il ne joignit pas les mains, parce qu’il n’aurait su les réunir, incapable de bouger, pris complètement par cette vision jolie qui, dans l’or pâli du jour mourant, dormait. Le jeune homme resta là, de l’adoration plein l’âme et si heureux qu’il oubliait, dans cette minute douce, toutes les autres joies qui l’avaient remué de leur bonheur troublant. Et celui-là qui l’envahissait follement lui était inconnu. Quelle que soit la somme de joies amassées dans une vie, il reste toujours de nouvelles douceurs à déposer dans le trésor, sans fin, du cœur de l’homme. Et son cœur se gonflait d’une allégresse intense, il sentait qu’il lui fallait pleurer, car certaines douceurs ne se vivent bien que dans les larmes, et celles-ci, ainsi versées, se cristallisent dans l’âme.

Elle ne dormait pas, elle reposait, bercée par l’harmonie exquise de ce soir naissant. Soudain, il lui sembla que quelque chose de très tendre tombait sur elle ; c’était mieux que tous ses rêves imprécis, et la pauvrette ne voulait pas ouvrir les yeux, tremblant que devant elle rien ne parût.

Mais un regard plus appelant attira le sien, et tout se fit si beau dans son âme qu’elle crut au paradis !

Ils ne se dirent rien, mais lorsque languissante elle descendit sur les pierres, la main du jeune homme soutint la sienne, tandis qu’il aurait tant voulu la prendre dans ses bras, pour sauver aux tout petits pieds peut-être des meurtrissures. Elle s’en allait, et lui, sans réfléchir davantage, désireux de garder un souvenir réel de cette heure idéale, posa ses lèvres sur la main diaphane…

La pauvre petite s’en allait chancelant d’émotion, croyant emporter un cœur alors qu’elle laissait le sien. Pourquoi faut-il des cœurs trop vieux, dans de jeunes êtres, alors que tant de cœurs neufs les appellent ?

Sur la plage, elle revint tous les jours, à toutes les heures, cherchant les grands yeux qui lui avaient pris dans la caresse d’un regard tout ce qu’elle aurait d’amour à donner ici-bas. Chargé de ce trésor, allait-il ne plus venir ? C’était impossible, il arriverait et elle se prit à l’attendre pendant qu’il oubliait, repris par des impressions plus vives, plus tourmentées que celles que lui avait données la petite poitrinaire qui s’en irait aux dernières feuilles.

L’été passerait si vite !…

Pauvre petite !

Un souvenir le ramena enfin. Il arpentait la plage, causant avec un vieux médecin, quand, soudain, une petite robe blanche flotta, et il revit les grands yeux pleins de flamme. Son compagnon, empressé, saluait. Émile vit le plus joli des sourires errant sur les lèvres de la jeune fille, et ce sourire qui se donnait à un autre, il le savait tout à lui. À côté de la blanche enfant, une vieille dame en