Page:Gleason - Premier péché, 1902.djvu/130

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
130
Premier Péché

âme qu’il avait mis là pour elle, ne se doutant guère avec l’égoïsme inconscient de l’homme, qu’une vie en serait à jamais meurtrie. La voilà qui pleure encore, après longtemps, qui pleure comme autrefois, au soir des adieux, alors qu’elle crut que sa vie s’en allait avec lui… Elle avait crié, mais après un dernier sourire — car par un miracle d’amour et de générosité, elle l’écoutait narrer ses projets, lorsque follement heureux, il disait son amour pour l’autre, content de cette attention de l’amie fidèle, croyant lui donner un peu de son bonheur en le lui disant.

Pauvre fou, va ! Elle lui pardonna tout, jusqu’à cette explosion joyeuse qui l’avait anéantie. Mon Dieu, comme les femmes savent mieux aimer, quand elles aiment !

Elle le laissa partir, et ne mourut pas complètement, mais la source des illusions fut tarie, et au cœur de la pauvre, il ne remonta plus de ces espoirs qui font la vraie vie. Si elle avait pu le haïr en le méprisant, en le sentant petit, mesquin, vulgaire… Mais il planait bien haut, et ne pouvant le mépriser, elle ne cessa pas de l’aimer, comme aiment les martyres. Rien ne voila le souvenir. Sa droiture d’âme lui interdisait de détester un homme, parce qu’il n’avait pu l’aimer. Ce sont de ces fautes qu’il faut généreusement pardonner.

— Pourquoi ces lignes ? Non, elle ne doit plus les relire, et dans le feu sombre, les caractères se rougissent ; un nom, celui qu’il lui donnait, flamboie lumineux, comme si toute la flamme se réfugiait en lui — puis tout devient gris. Ce fut ainsi sa vie… une heure d’infini bonheur… puis le vide !

Maintenant la vieille fille a tout consumé, et ne pense plus qu’au présent ; son sourire a recouvré sa sérénité exquise ; elle a donné de son cœur aux cœurs souffrants, elle pense aux pauvres, à la saison mauvaise, aux petits grelottants, et la voilà qui entasse de chauds vêtements, de bonnes couvertures, de soyeux tricots tous préparés durant les longues veillées, et pour mettre de la joie dans les intérieurs sombres.

***

Chères vieilles filles au calme sourire, au regard pénétrant, au charme vieillot qui allez dans la vie, donnant à tous ce que vous auriez prodigué d’amour à l’époux, aux enfants, pourquoi ne vous comprend-on pas mieux ? Vous êtes la joie des désespérés, le soutien de tous et surtout le bon ange des berceaux. Que de jolis êtres chétifs recueillis par vous, alors que l’oisillon était seul au nid. Que de tendresses vous donnez, et qu’il y a de résignation admirable dans votre abnégation.

On prend tout de vous, on vous prive de toute joie, comme si la joie devait vous rester inconnue. On accepte tous vos sacrifices,