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Premier Péché

Feuilles d’Érable et Bruyère Rose


Ils s’aimaient !

Là-bas, dans les landes sauvages, fleuries de bruyère, le ciel de Bretagne souriait à leurs premiers épanchements. Heureux du soleil qui rayonnait, faisant monter plus ardente la joie à leurs âmes, enivrés des effluves de leurs forêts, grisés par la chanson de la grande mer bleue qui battait les petits djords, ils écoutaient les voix qui criaient en eux des harmonies si puissantes, que les échos s’en taisaient.

Ils s’aimaient ; et de se l’être tant dit ils restaient muets, de crainte de troubler, par une explosion maladroite, la douceur des phrases souventes fois modulées. Les yeux redisaient le poème exquis en y mettant toute la grâce poétique de ces âmes-sœurs. Ils passaient de longues heures à relire, dans leurs prunelles ardentes, les premiers enivrements du rêve.

Tous les soirs, enlacés, vers la grève ils s’en allaient, heureux de se sentir battre le cœur du cher amour ; heureux à vouloir se baisser pour embrasser les fleurs pâlottes égarées au milieu des rochers ; heureux à trouver jolies les petites bêtes hideuses qui rampaient des déchirures humides. Heureux enfin à trouver beau le laid ! Il y avait là un granit immense où la mer avait sculpté un nid d’amoureux. Jean conduisait Marie dans l’anfractuosité où quelques herbes mousseuses tapissaient et ouataient cette rude retraite. La main dans la main, toujours s’aimant, ils regardaient ensemble le même ciel, la même mer, le même horizon, pendant que leur montait au cœur une soif immense de se perdre bien loin, là où leur tendresse seule, immense, fière et forte, leur tiendrait lieu de tout.

Un soir, Jean pressait plus tendrement la main de Marie.

— Veux-tu que nous partions ?

Elle se pelotonna tout près de lui et, avec un regard confiant et heureux :

— Partons alors où nous serons seuls, où nous nous aimerons mieux ; allons vers le pays nouveau dont tu parles souvent. Nous y souffrirons, dis-tu, mais notre amour en sera grandi ; allons là-