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Premier péché

Sœur Louise l’aime, oui, mais sa maman l’embrassait si doucement, et maintenant jamais plus elle ne goûtera de ces caresses. Et tout son être proteste contre cette privation injuste, car elle est toute petite, et les petits enfants, on les embrasse toujours !

Alors, c’est la vision de la chère créature disparue, de la maman au regard aimant… Tout le chagrin de son deuil revient au cœur de la pauvrette, et dans les bras de sœur Louise elle sanglote éperdument.

Et la religieuse affolée trouve des mots nouveaux pour apaiser la chérie ; toutes les femmes sont mères, et sœur Louise sent battre son cœur d’un sentiment nouveau. Elle berce cette enfant que le Ciel vient de lui donner, elle lui murmure, en sourdine, des berceuses, elle approche son visage tout près du sien, et lui sourit yeux dans les yeux, pour tenter d’ôter des lèvres le pli d’amertume qui s’est creusé déjà.

Elles sont là, l’une contre l’autre, sœur Louise épanouie par le rayon très doux qui est venu à elle ; la petite, consolée par cet amour dont la chaleur exquise réchauffe son petit cœur froidi.

Soudain la porte s’ouvre, une ombre s’encadre et murmure d’une voix dure :

« Sœur Louise, ne gâtez pas cette petite. C’est nous qui l’élèverons, et ne nous préparez pas des embarras. »

Puis, brusquement, la vieille religieuse disparaît, pendant que sœur Louise, inclinée respectueusement, retient à grand’peine la larme qui tremblote au bord de ses cils.

Pour la pauvrette, c’est la suprême révélation ; elle a l’intuition des douleurs à venir ; elle ne pleure plus, mais sauvage, les traits durcis, la bouche mauvaise, elle dit froidement :

« Elle est méchante ! »

Sœur Louise scandalisée essaye de calmer l’enfant, mais en vain, toujours la petite répète d’une voix sèche : « Elle est méchante, méchante ! »

Le soir, dans son lit blanc, la fillette se sent malheureuse, et pleure doucement ; une petite douleur, tranquille, celle qui sent que toute consolation lui est refusée.

On se penche sur elle, sans doute pour surveiller son sommeil : c’est la figure angélique de sœur Louise qui se contracte à la vue de ce chagrin d’enfant. Elle se penche encore plus près, plus près, et doucement pose les lèvres sur celles de la mignonne affligée. Et sur la petite joue une goutte de rosée tombe et scintille un moment pour se confondre ensuite dans le ruisselet qui coule à flots pressés. La petite a bu la larme de sœur Louise, philtre magique qui répand dans ses veines un calme consolateur.