Page:Gleason - Premier péché, 1902.djvu/114

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
114
Premier Péché

Les fines promeneuses s’en allaient toujours, leur rire perlé cascadait dans l’espace, la grande rue brillante avait des sourires pour cette ravissante jeunesse. Les bourgeons montraient leurs têtes mignonnes, avides de recueillir de toute cette vie, la vie.

Un long regard suivit les gracieuses jeunes filles ; la pauvrette murmura un merci, et avec amour et joie, l’aumône parfumée se pressa contre le petit cœur palpitant.

Puis dans une de ces ruelles désertes et mal éclairées où l’on marche à tâtons, sûr de se frapper à quelque angle raboteux, la malheureuse enfila sa disgracieuse personne. Une porte sombre s’ouvrit tout au fond d’une cour, et dans un escalier étroit et noir elle monta, monta encore. Ces logis-là ne sont jamais hauts ; on semble craindre de les rapprocher du ciel. Il faisait humide là-dedans, de cette humidité qui donne un premier frisson par l’odeur de moisi qui s’échappe du bois, des murs, de la pierre, de tout enfin : les êtres mêmes s’en imprègnent à la longue…

Près d’un poêle rouillé, une vieille est endormie, le feu s’est éteint en même temps que la prière, et le chapelet s’est immobilisé dans les vieilles mains. Une lampe éclaire mal tout cela, — tout cela ? — si peu de chose — une table, trois chaises, de sales paniers dans un coin, et puis quelques vieilleries disséminées, qui ont peut-être un usage, mais contribuent encore à rendre plus triste l’aspect de cette cuisine.

La jeune fille aux roses n’est déjà plus là ; sur la pointe de ses grosses bottines, elle a pénétré dans une toute petite chambre, où dans les loques d’une sorte de grabat, gît une blanche enfant. Ses yeux sont grands ouverts, elle ne regarde plus ici, on sent qu’elle voit plus loin, — bien loin — dans l’immortel au delà — la fin d’un rêve ébauché ici-bas…

Elle meurt, mais de quoi meurt-elle ? Elle agonise d’un mal terrible, et si, sur le petit cœur, vous posez la main, avec le navrant sourire des douces malades, elle vous priera ;

N’y touchez pas, il est brisé !


Elle n’avait pas raison, sans doute, cette fille de prolétaires, de se sentir à l’âme de ces délicatesses ; son cœur devait avoir la tempe solide des fers forgés ; enfant de rudes, il ne lui était pas permis de rêver ainsi… Elle avait songé d’un immense amour, elle y avait cru, tout lui souriait, et comme si les pauvres avaient droit aux chagrins d’amour, elle agonisait là d’un lâche abandon. Elle s’en allait, idéalisée par sa douleur ; on la regardait mourir, ne comprenant pas la cause de l’œuvre néfaste… Travailleurs des rues, qui sait si les êtres qui avaient donné à la vie cette petite sensitive, qui sait, s’ils n’auraient pas raillé cette agonie incomprise ?…