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Premier péché

Vies Manquées


50 ans. C’est son anniversaire, et perdu dans la solitude de son appartement, le vieux garçon attend… Il lui semble qu’une joie, une au moins, lui est due le jour de sa fête… et il espère.

La chambre est remplie d’ombre, et dans l’opaque d’un nuage qui s’obscurcit sans cesse, il rêve d’un bonheur inattendu… Il fume avec rage, espérant dans les flocons grisâtres, retrouver quelques vestiges de sa jeunesse éteinte. Et il rêve que tantôt, dans un déploiement radieux, luiront de tendres regards autrefois admirés, — puis dédaignés.

50 ans ! Seul ! Pourquoi ? Oui, pourquoi ? Il avait édifié, autrefois, de chers plans que la brise emporta dans une rage automnale ; et sur les décombres de son bonheur, il était resté solitaire, respirant l’odeur calcinée montant des ruines… C’est encore quelque chose de l’antan qui vivait dans ses cendres, pour lui crier : te souviens-tu ?

Se souvenir ? Mais il ne faisait que cela. Est-ce que le présent, terne et décoloré, pouvait combler le vide immense de son cœur ? Non, il lui fallait demander au passé un peu de joie, tant celui-ci avait de trésors… pour toute la vie… La vie ? Il l’avait souhaitée si belle, si rayonnante, éclairée d’un seul regard, et voilà que la nuit s’était faite : il était seul ! seul à jamais !

Il écoute encore, tant il lui semble que la clochette aura un accent de fête. Mais elle reste muette, et lui, le pauvre, compte ses heures de solitude, oubliant de tisonner les flammes expirantes du foyer, et de rallumer la pipe éteinte : l’odeur du tabac prend une âcre tristesse dans ce froid de l’appartement… on la respire, et se prend à sourire d’un sourire désabusé, se remémorant l’exclamation qu’une jolie fillette, en visitant une chambre de célibataire, avait murmurée, avec un charmant retroussis du museau rose : Ça sent le vieux garçon !

Il éprouve une sensation indéfinissable à cette pensée qu’il est rangé dans cette catégorie de parias. Puisqu’il est seul, une liberté lui appartient : et sans honte, dans sa retraite noire, le malheureux exhale son infinie tristesse. S’il n’était pas un homme, il pleurerait… Et pourquoi ne pleurerait-il pas ? La vie ne vaut-elle pas les larmes qu’on lui donne ? et lorsque, dans un acte de folie, on a confié à l’abîme son plus cher trésor, ne peut-on, penché sur le