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Premier Péché

ressemble pas à mon bon ange. Puis elle dit toujours comme lui. Cette chère n’aura plus besoin de penser, ce qui ne m’irait pas à moi, car c’est amusant de penser, et encore plus d’exprimer une opinion, et encore, encore, encore plus de contredire celle des autres… J’adore contredire !… Le docteur n’aime pas qu’on discute ses idées, et il a dit à papa : « Cette petite Yvonne a une façon de se prononcer ! » Je le crois bien que j’ai une façon de me prononcer, et dis, cousin, tu l’aimes, ma façon ?

Quel dommage que tu sois si vieux, cousin, je t’aurais bien aimé ; tu es mon idéal ! Tu as l’esprit que j’aime, la bonté que j’aime, et tu ne me tiendrais pas en laisse, comme ton caniche ? Tu m’écouterais, quand j’aurais recueilli un lot d’impressions, et que je te défilerais cela…

Louise aime mieux le genre de son docteur ; au fait, il en faut pour tous les goûts.

Moi, mon goût, ce serait toi, si tu n’avais pas 40 ans ! Et si tu ne les avais pas, tes 40 ans, je ne pourrais pas te lancer ainsi une déclaration brûlante !

Parlons de notre bal ; Louise, usant de son privilège de mariée, y sera tout en blanc ; maman arbore une robe rouge — et ça lui va mal, à maman aussi, mais c’est cette popularité, qu’il ne faut pas négliger. — Entre nous, qu’est-ce que ça peut bien faire aux électeurs de Papa, nos questions de toilette ? M’est avis que maman ne s’y entend guère, en politique…

Le souper sera pantagruélique — tous les gargantuas de la paroisse vont s’en donner à bouche-joie, en dépit de leur titre de voteurs ; je me propose de surveiller leurs exploits gastronomiques ; on ne sait pas, cela peut être intéressant, un jour, de savoir la quantité de dindons et d’oies qu’un honnête homme peut avaler.

Tu viendras constater toutes ces choses ; nous observerons ensemble, tu te rafraîchiras du bonheur de Louise et de Jean, tu finiras les discours de Papa, tu feras de beaux sourires aux influences que maman saura bien te désigner… et puis tu feras danser ta cousine Yvonne, qui ne sera pas en bleu, mais qui te gardera son plus beau sourire.

C’est égal, cousin, je t’aurais bien aimé. Et dis donc, pourquoi ne t’es-tu pas marié ? — On dit qu’il y a nombre de femmes qui te trouvaient charmant ! — et tu as passé. Ce n’est pas bien gentil pour nous, ça, et si tu voulais être bien fin, tu me ferais un brin de confidence. Je deviens sérieuse pour t’écouter… et le jour de la noce, je te promets d’être encore plus aimable… Mais, dis moi, pourquoi fais-tu un vieux garçon ?

Je tends le front pour un baiser à la petite cousine

YVONNE. »