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cette faculté jusqu’au raffinement, jusqu’à la souffrance. Il avait en lui ce don « rare et redoutable », cette « cérébralité nerveuse et maladive » qui fait une émotion « des moindres impressions physiques ». Il était conquis, dans la peinture, par ce je ne sais quoi de « presque sensuel » que la couleur ajoute à la beauté des formes. À l’encontre de Zola qui n’a pas connu, dit-il, ces vibrations, ces « spasmes d’art », chers aux raffinés fanatiques du Verbe, il ressemble plutôt, lui, à Baudelaire, ce raffiné par excellence. La théorie de l’audition colorée émise par Arthur Rimbaud, dans son fameux Sonnet des Voyelles, ne l’étonne point. C’est qu’il a, plus que personne, le sentiment de la valeur des mots, de leur âme intime et de leurs mystérieuses résonances.

Enfin, Maupassant a compris la musique, le plus puissant, le plus voluptueux des arts,[1] celui qui, étant le plus jeune, a le plus d’avenir peut-être. Et son naturalisme lui en fait goûter toute la douceur et le profond mystère dans les orchestrations les plus savantes, comme dans les instruments isolés, les plus ténus, les plus simples. On connaît la phrase merveilleuse par laquelle il a rendu l’effet produit sur lui par le son de deux flûtes jumelles, deux pauvres roseaux à cinq trous, coupés à même au bord de la rivière et dont jouent deux primitifs, deux grands bergers Kabyles, rencontrés par hasard dans un bouge de Tunis.[2]



Que faut-il conclure de cette esquisse que nous venons de tracer de la physionomie morale et du « pessimisme » de notre grand écrivain ?

  1. — « Aimez-vous la musique ? dit Paul Brétigny à Christiane, dans Mont-Oriol… Moi, elle me ravage… ».
  2. La Vie errante, Tunis. « Ah ! la surprenante et délicieuse sensation qui se glissa dans mon cœur, etc… ».