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Et cet aveu lui échappe, qui trahit la suprême amertume de l’artiste : « je suis incapable d’aimer vraiment mon art, je ne puis m’empêcher de mépriser la pensée, tant elle est faible, et la forme, tant elle est incomplète ». Il avoue son inguérissable mépris d’un effort qui « n’aboutit qu’à de pauvres à peu près ».

Qu’est-ce à dire, sinon que Maupassant, comme il dédaigna les conquêtes de la spéculation et du génie humains, en vint même à nier la valeur de l’Art, de tous les arts, à ne voir partout, pour l’homme, dans le domaine esthétique, comme ailleurs, qu’impuissance, avortement et stérilité.

Or qui aima l’art plus que lui ? Qui s’y consacra d’une manière plus absolue ? — sans aller toutefois, comme son maître Flaubert, jusqu’au fanatisme et à la torture.

De l’artiste, Maupassant a d’abord la faculté d’admirer, — qui n’est qu’une des formes de l’art d’aimer.

Il a le sens de l’architecture, le plus incompris, selon lui, le plus esthétique des arts, « le plus nourri d’idées ». À la carcasse métallique de la Tour Eiffel, solidement campée sur ses bases, combien il préfère le léger campanile de Pise, œuvre gracieuse, qui dérange si curieusement en nous le sens de l’équilibre ! Le Mont-Saint-Michel, formidable construction hybride du Moyen-Âge, l’étonne. Et il est ravi de ce « joujou », de ce bijou d’art religieux, la chapelle Palatine de Palerme, qu’il proclame « le plus absolu chef-d’œuvre imaginable ». Les temples de Girgenti, de Sélinonte et de Ségeste l’ont arrêté dans son voyage à travers la Sicile ; il y a vu la trace du génie des Grecs, de « ces maîtres décorateurs, qui ont appris l’art à l’humanité ». Et il adore Florence, ville des merveilles, cité vivante, et il goûte à Pise, avant d’Annunzio, le charme mystérieux des villes mortes.

De l’artiste encore, Maupassant a la faculté d’émotion — l’élément le plus noble de la jouissance esthétique. Il portait