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Tolstoï le lui a assez reproché jadis ![1] Mais il a fait entendre, en face du brutal vainqueur de Moltke, des paroles d’indignation et de révolte contre la guerre, la stupide guerre, contre les criminels préjugés qui l’inspirent, contre les hommes de sang qui l’exploitent, contre les gouvernements qui prennent « le droit de mort sur les peuples ». Il a répété le cri de Victor Hugo : « Déshonorons la guerre ! » et donné lui-même une voix éloquente à la protestation du genre humain.

Enfin, sa pitié ne va pas seulement à l’homme, mais à l’être universel, à tout ce qui vit, à tout ce qui souffre et se débat, sans comprendre. « J’aime la bête — écrivait-il à son ami Pol Neveux — l’homme et l’animal, profondément. Le poil du chien et la plume des oiseaux attirent ma main. Leur existence me passionne… » Et il a plaint, avec un accent pénétrant, la sarcelle argentée qui vient, après que sa compagne est tombée, s’offrir d’elle-même au coup de fusil du chasseur… Poésie ? Peut-être. En tout cas, on est heureux de noter de telles « inventions » sous la plume de l’écrivain qui a raconté les tribulations de Maît’ Belhomme et l’aventure de Ce cochon de Morin.

Donc, Maupassant est un pessimiste parce qu’il fut toujours un malade. Mais il est tout au fond un tendre, que la vie a particulièrement blessé. « Vous êtes un sceptique à fleur de peau », lui écrivait son éditeur, le bon Havard, qui avait pleuré en lisant Mont-Oriol. Et lui-même faisait à un ami intime cette mélancolique confession : « On me pense, sans aucun doute, un des hommes les plus indifférents du monde. Je suis sceptique, ce qui n’est pas la même chose, sceptique, parce que j’ai les yeux clairs. Et mes yeux disent à mon cœur : Cache-toi, vieux, tu es grotesque ! — Et il se cache ».[2]

  1. V. la réponse de Faguet. Revue Bleue, 1896, t. I, p. 750.
  2. V. Pol Neveux. — Discours prononcé à l’inauguration du monument de Rouen, le 27 mai 1900.