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dominé par aucune idée préconçue — système métaphysique, théorie politique ou dogme moral — ne déforme jamais la réalité.

Et cette réalité, il veut la puiser d’une manière directe, dans le contact des choses elles-mêmes. C’est pourquoi il abandonne vite le travail métrique. Il renonce au théâtre, pour la forme plus impersonnelle du conte, de la nouvelle et du roman. « Un roman, disait Taine, est bien plus propre qu’un drame à montrer la variété et la rapidité des sentiments, leurs causes et leurs altérations imprévues ».

En vertu du principe posé par son maître Flaubert,[1] Maupassant fera effort pour rester impassible. Il s’abstraira de son œuvre. Il rejettera l’accidentel, l’anecdotique, pour aller chercher au fond des choses, sous les « dessous » et dégager à travers les apparences changeantes le fonds éternel de l’humanité.

Il fera vrai. Tout, en effet, est observé chez lui, tout est vécu. Étant donné qu’il a du génie, quelle œuvre sera donc plus humaine que la sienne ?

Mais quelle œuvre aussi sera plus pessimiste ?

Il peint l’homme toujours, mais l’homme tel qu’il le voit. Et il le voit tel qu’il est — c’est-à-dire méprisable. Il est d’abord frappé de sa laideur. « Dieu, que les hommes sont laids ! » Prenez dix passants, alignez-les devant vous, examinez-les ; vous aurez une collection de monstres, une « galerie de grotesques » à dérider un mort.

Ce mépris qu’il a pour l’individu pris isolément, Maupassant le déverse sur l’homme en troupeau. La foule stupide et mal odorante l’écœure. Les conversations de table d’hôte lui donnent la nausée. Les principes, les fameux « principes », réputés immuables par les meneurs du peuple et par les

  1. V. Gustave Lanson. Introduction aux Pages choisies de Flaubert.