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le mépris du monde et un besoin impérieux d’être seul. Seul, libre ! « Quinze jours sans parler, quelle joie ! » De là ses fuites, son goût pour les courses vagabondes, pour les déplacements, qui modifient le plan des choses et varient un peu l’aspect des êtres, toujours les mêmes. Jamais il n’est plus à l’aise qu’en mer, sur son yacht léger, « logis aérien, doux comme un nid », qui se balance…, ou bien là-bas, au désert, « loin du monde,… loin de tout ».

Cette tristesse, cette misanthropie augmentant avec les années devaient l’amener de la passion de la solitude à la crainte — puis, par une pente naturelle, au désir de la mort.

La Mort ! la grande ennemie, celle qui gâte notre joie. Nul n’en a mieux que Maupassant exprimé la hideur et souligné le caractère fatal. Il faut remonter à Bossuet et aux grands sermonnaires du passé pour retrouver de tels accents. « Qu’est-ce que cent ans, qu’est-ce que mille ans, puisqu’un seul moment les efface ? », disait l’orateur chrétien. Et, plus froidement, le romancier dit : « Quoi que nous fassions, nous mourrons ! Quoi que nous croyions, quoi que nous pensions, quoi que nous tentions, nous mourrons ! »[1]

La mort est la grande destructrice. Elle s’avance sournoisement, elle nous dégrade, plisse les rides du visage, s’annonce et, comme disait déjà Bossuet, « se met en vue » de toutes parts. On la voit dans les feuilles qui tombent, dans les bêtes qu’on écrase, « dans le poil blanc entrevu dans la barbe d’un ami ». Elle nous enveloppe. Tout nous crie : la voilà ![2]

Maupassant a bien peint la mort. Il en a eu la hantise, la peur.

Il l’a vue dans le cimetière fleuri de Menton, où on la cache sous les roses, pour dissimuler son affreuse odeur sous ce

  1. Au soleil.
  2. Cf. le monologue du vieux poète Norbert de Varenne, dans Bel-Ami.