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pour celles de mon âge qu’une forte pensée, je n’ai pas eu une douleur dans l’île. Le second jour, je l’occupai à me faire, dans une des trois niches de la caverne de corail blanc, un lit avec les plumages dont l’île était jonchée. Le troisième jour, je retirai les plumes trop dures et amassai les duvets de gros oiseaux de mer, qui les perdaient en flocons au moindre vol et qu’un regard plumait comme une volée de plomb. Le quatrième jour, je triai les plumes d’après leur couleur, pour avoir trois divans, jaune, ocre, rouge. Le cinquième jour, je dus vider ces trois niches comme trois baignoires, pour retrouver une des bagues de Nenetza, que j’y avais perdue. Le sixième jour, je retirai certaines plumes vertes qui déteignaient, et certaines pourpres qui piquaient. Après ces six jours de création, j’étais juste arrivée à faire mon lit… Déjà cependant le lait avait jailli pour moi de l’arbre à lait ; flattant l’arbre de la main, génisse millénaire dont le vent retournait parfois la crinière vers ma joue, je réussissais à emplir ma boîte de conserves ; déjà je savais que l’on peut boire à même l’arbre vin, mais qu’il faut que repose le suc de l’arbre cidre ; déjà les fruits que l’on sèche et ceux que l’on mange frais. Puis, ma grève balayée d’un balai en vrai marabout, mon costume de ficelles