Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/78

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tête dans mes mains, me bouchant les oreilles, me fermant les yeux, je voulais éviter au sort et à mes sens de se compromettre, de recevoir des signes irrémédiables, et j’essayais en vain d’assembler autour de moi tout ce que je croyais contenir d’éternité : et cette logique qui rendait si improbable qu’une jeune fille de Bellac dût mourir au centre du Pacifique, et cette modestie, qui m’interdisait de croire une catastrophe célèbre nécessaire pour anéantir une conscience aussi faible. Des pianos sous des bâches roulaient d’un bout à l’autre avec des fracas à eux.

— Un incendie, — dit-on à mon oreille.

Car Mademoiselle avait trouvé ce dernier moyen de me rendre l’eau moins redoutable. Je la contemplais. Car ce qu’elle était allée chercher, c’était plus que la ceinture, d’autres yeux, des yeux de naufrage, d’autres lèvres, d’autres mains, des mains décharnées, et qu’on sentait assassines pour tout ce qui me menacerait. Elle tira la ceinture d’une étoffe où elle l’avait enveloppée, regardant autour d’elle, et l’on devinait qu’elle avait appris, dans ces dix minutes d’absence, quels crimes l’on commet pour une ceinture. Elle voulut me la ceindre elle-même, m’entourant de ses bras comme pour une danse, la tête toujours tournée vers la droite ou la gauche comme justement dans ces tangos