Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/73

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la lune se levait et Nenetza, hésitant par politesse à la montrer du doigt, nous en parlait, prétendant que l’âme est immortelle.

— Je te dis que non, — disait Naki. — Tout le monde le sait. L’âme est-elle immortelle, mon général ?

Le général l’avait entendu dire à Oxford. À Cambridge on le niait, mais une âme mortelle serait si peu pratique !

Enfin nous nous levions, baissant presque la tête à cause de ces étoiles si proches. On voyait de petits sillages de feu venir à toute vitesse du navire des forçats, où la vaisselle était finie : c’étaient les requins. Après quelques menus désirs, celui d’être un géant pour gratter la mer à ses places irritées et ardentes, celui de tourner le gouvernail, celui d’être la nièce de Pizarre, après un dernier regard jeté à tous les astres comme à un couvert préparé d’avance, nous allions dormir. Nenetza me déshabillait et me levait le pied comme à une écuyère pour me hisser dans la couchette. Puis Mademoiselle se glissait au-dessous de moi, se cramponnant aux courroies jusqu’au matin pour sortir de cette nuit dont elle avait toujours peur comme Ulysse sous son mouton.

Nous entendions un dernier pas, le philosophe liménien qui descendait de dix mètres pour trou-