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tous fous, semblaient marcher sur l’erreur. Nous, nous tanguions déjà, sur la seule vérité. À tribord, au milieu de la mer, se dressait une grande vague toute seule, sœur du dolmen.

— Amour !… — disait Nenetza.

C’était son mot de réponse à toutes les attentions de la nature, aux poissons volants, aux oiseaux flottants. Je lui demandais pourquoi elle employait ce mot : ce n’était pas un tic, c’est qu’elle pensait bien, me répondait-elle, à quelque chose comme Amour… Du moins, grâce à cette petite Grecque, je partis pour un autre monde comme pour un cabotage, innocemment, et de la France en cherchant à la voir toute, comme une île…

Nous partions. Tout ceux des passagers qui ne croient pas en un Dieu trop rancunier et qui avaient manqué la messe, pouvaient voir l’Europe disparaître. Nous la longions de très loin, escortés sur notre droite par le navire des forçats, sinistre, car il semblait vide, et soudain, la récréation sans doute, grouillant de têtes, et que l’on sentait convoyé lui-même, à tribord, à la même exacte distance, par le navire qui porte les crimes mêmes. Les premiers grains de beauté faits par les escarbilles éclataient déjà sur le visage de ces deux passagères en chandail qui se promènent sans