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lait, la vigne qui rend inutile l’arbre-vin. Voici là-bas le mouton, qui rend si mesquin l’arbre-laine. Les corbeaux paissent la lisière nord du champ, les pies la lisière sud. De La Rochelle toujours invisible j’entends les rumeurs. Le clairon maintenant sonne le rappel aux caporaux, aux fourriers, la vie commence en France pour les Français de ces grades. Puis le rappel aux chefs de compagnie, la vie est commencée pour les bourgeois. Un froissement gigantesque de soie et de velours, la bourgeoisie passe son uniforme. Les préfets déchirent leur courrier. Les préfètes s’éveillent, alanguies d’orgueil, et par la fenêtre entr’ouverte leur parvient le bruit des tramways et des enclumes. Ah ! à ce seul nom de préfet, de conservateur des hypothèques, de receveur de l’enregistrement, voilà que ma qualité de Française me revient comme un métier !

Mais j’entends des pas. Je retiens ce réflexe polynésien qui vous oblige, quand on entend des pas, à grimper au faîte du cèdre ou à plonger au fond des mers. Je me cache dans un arbre creux. J’entends une voix. Je contiens cette envie polynésienne, qui pousse, pour honorer les paroles de l’arrivant à les répéter en chantant à tue-tête… Mais le voilà lui-même qui chante. Je le vois. Ce