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chien. Parfois je voyais mes compagnons rire tous trois ; c’était (car je gardai longtemps encore l’habitude de penser tout haut), que je venais de libérer une de ces phrases à l’infinitif qui me tenaient lieu de raisonnement ; je venais de dire : Tenir Jack dans mes bras, — le faire boire, — tourner son bracelet d’identité jusqu’à ce qu’il criât ! Jack n’en tirait pas d’orgueil et même ne s’en émouvait pas : il avait eu pour voisin à l’hôpital un trépané qui parlait comme moi. Il me soignait comme le trépané ; à chacune de mes paroles inconscientes il s’approchait et voulait me pousser un nouveau coussin sous la tête. La nuit était tombée. Le chauffeur du canot vint aux ordres, comme un chauffeur d’auto avant le théâtre à Paris (Refaire le plastron de la chemise du chauffeur, cousu à l’envers ! Teindre en vert la mèche blanche que le chauffeur avait dans sa perruque ! mes amis s’étendirent tous trois l’un près de l’autre (Cogner doucement leurs trois têtes entre elles !), et chacun, après un certain nombre de milliards d’étoiles, s’endormit. J’avais peur ; ces trois astronomes étendus et immobiles parsemaient l’île d’ombres nouvelles qui marchaient ; mais je n’osai les réveiller, la nuit n’est pas une éclipse.

Je ne pouvais m’éloigner de Jack. J’avais ram-