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mer, J’entendais à la fois les quatre harmonies que peuvent faire les humains ; et, dès que l’écho eut rejeté quatre fois mon appel, je sentis cette circonférence se resserrer, l’assaut donné à ma solitude par quatre hommes avec des fusils, des revolvers, des haches ; déjà les branches craquaient, et soudain, quand la pression humaine fut trop forte pour moi, — vingt mètres, trente mètres, tant j’y étais devenue sensible, — ne t’évanouis pas, Suzanne ! — je m’évanouis…

Je ne me décidais ni à bouger ni à rouvrir les yeux. Une à une, reconnaissante à chacune comme si un être nouveau se créait pour mon usage, j’avais entendu leurs trois voix… Ils étaient tout près, penchés sur moi… Sur mon corps je percevais leur haleine, l’une atteignait ma main, l’autre ma joue, l’autre ma gorge. Tout le reste de mon corps était glacé, ces trois points bouillants. Chacun de leurs mots aussi atteignait en moi une fibre précise, un muscle de ma jambe, un point de mon cerveau, et quelquefois une partie de moi-même que je devinais spirituelle et non sensuelle. Trois voix aussi différentes que pour un opéra, la basse, la moyenne, la haute, et je fis vœu dès que