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m’attachai à tout ce qu’il contenait. Je nouai à mon poignet un foulard or et gris, qui sentait le benjoin, à mon genoux un mouchoir de soie vert qui sentait la bergamote. De deux parfums d’homme, je me fis deux amarres. Je fouillai les poches, avide de toucher enfin les résidus du monde qu’un homme porte sur soi ; toutes étaient vides, mais du moins chacune avait son odeur, l’une sentant le tabac blond, l’autre le chocolat, la petite sur la poitrine la menthe. J’aspirai ces flacons de sels, après cinq ans je revins à la vie, l’Europe avec ses parfums passa à ma portée… Je me précipitai à mes échos, pour y crier l’appel que j’avais si souvent répété sur eux ; je courus à l’écho quadruple, dédaignant le double et le triple ; le vent avait tourné et venait de l’Ouest, trop tard, car que m’importait maintenant d’être déesse à Haühaü ! Je courais, effrayant mes tatous, qui regagnaient leurs terriers, mes singes qui remontaient aux arbres. Les animaux me laissaient tout le sol pour cette entrevue humaine… J’étais au centre de la petite presqu’île ronde quand je vis le canot aborder à nouveau, sans doute à ma recherche. L’homme appela. Puis sur ma droite, dans les cocotiers, j’entendis un autre homme qui chantait. Puis, loin derrière moi, un banjo. Un quatrième homme sifflait près de la