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rapide, mais j’avais vu une main s’élever du canot et caresser ces cheveux ; une autre main, qui toucha doucement l’oreille. Un homme tout entier était là, et dont chaque partie du corps caressait les autres !

À ce moment, j’aperçus un manteau accroché à un arbre. La brise s’était levée, une brise d’Est, qui allait amener trop tard le chef qui devait me rôtir, mais agitait ce vêtement et lui commandait des gestes de pantin qui me rappelèrent aussitôt, comme si je les avais oubliés, tous les gestes des hommes. Le bras se balançait, le col s’ouvrait, с’était le manteau d’un homme qui marche, qui respire. Je le palpai, je le cueillis au point même où il tenait à l’arbre, pour ne pas l’abîmer, comme un fruit. J’étais sûre qu’on viendrait à sa recherche : ce n’était pas un de ces manteaux qu’on abandonne dans une île, c’était un de ces chefs-d’œuvre en homespun blanc et bistre pour lequel on n’hésite pas à déranger le soir la femme déjà endormie et sur lui assise, doublé de soie bise ; qu’on adore, avec des revers aux manches et une martingale. Mais on ne le retrouverait pas sans moi, car je m’en enveloppait ! Comme en Orient les amants dans les tapis des harems, on ne le ramènerait pas sans moi chez ce M. Billy Kinley, qui était son maître d’après l’étiquette. Je