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sait les vallées, habite les clairières, n’apporte les cinq sens de l’île réunis sur son étroit visage qu’aux points chéris par le soleil. Chacune à son nom.

La première est toujours nue, la seconde harnachée d’orchidées. Mais je ne les suis, hélas ! que tour à tour. Comme ces héroïnes qui jouent à elles seules, au cinéma justement, le rôle de deux jumelles, ce n’est que par artifice qu’elles peuvent se rencontrer et se toucher juste du doigt, à minuit, pour la relève. L’une est capable de tous les exploits, l’autre de toutes les bassesses. L’une est idolâtre, crédule ; l’autre raisonne. L’une a tendance à engraisser, l’autre à maigrir. L’une marche sur la pointe des pieds, l’autre sur le talon, et elles ne laissent pas les mêmes traces dans l’île. L’une innocente, l’autre perverse, et leurs bouches ne laissent pas la même empreinte dans les fruits. L’une qui caresse les animaux au front, l’autre qui les flatte. En somme, en les perfectionnant, j’arrive simplement à séparer, comme Dominique autrefois, et il faut au moins une bonne piqûre de guêpe ou de cactus pour les ressouder un moment, mon corps et mon âme. Je vis ainsi à cloche-pied.

Mon âme est quelque chose de bien exigu,