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dire : « Va donc à gauche, va donc à droite ! » Pour lui dire : « Là, assieds-toi, pose ton fusil, ton ombrelle et ta canne. Tu es sur un promontoire, des perroquets t’entourent, écris donc quelques vers : pourquoi diable n’es-tu pas de Düsseldorf au lieu d’être de Brême ! Ne travaille pas trois mois à te faire une table : accroupis-toi. Ne perds pas six mois à te faire un prie-Dieu : là, agenouille-toi. Ne trouve pas le moyen d’avoir ici des éboulements comme dans un pays de mineurs, des accidents d’électricité comme dans un siècle futur. Ton parapluie, ton ombrelle et ton en-cas, tant pis si tu n’arrives pas à perfectionner le ressort qui les tient fermés, laisse-les tout ouverts à la porte des forêts où tu ne peux pénétrer avec eux. Pense plutôt à moi, qui, pour te jouer un tour, aurais appuyé de la main, non du pied, sur le sable de ton île, et disparu. Que diable aurais-tu dit de cette main de femme ! Cet arbre que tu veux couper pour planter ton orge, secoue-le, c’est un palmier, il te donnera le pain tout cuit ; cet autre que tu arraches pour semer tes petits pois, cueille sur lui ces serpents jaunes appelés bananes, écosse-les. Je t’aime, malgré tout, toi qui parles du goût de chaque oiseau de l’île et jamais de son chant. Que dirais-tu d’un verre de bière ? »