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cades, jusqu’à l’éclat de soleil dont ils sont nés, de leur queue reprenant l’élan sur un rayon. Chaque arbuste par moi jadis fût sans doute si surpris qu’il porte depuis mon naufrage les fruits d’un autre. Ici les pommiers donnent des oranges, les figuiers des cerises. Ici un monde où fleurs, oiseaux, animaux et insectes, confondus dans le bonheur, n’ont pas eu le temps à mon arrivée de reprendre leurs attributs : des bêtes poilues pondent des œufs, les poissons couvent. Tout ce que les poètes seuls voient en France, on le voit ici à l’œil nu ; les arbres boivent à la mer par de vraies trompes qui se contractent quand elle est trop salée. Tout ce qu’on dit par antiphrase des femmes à Paris, on peut le dire vraiment de moi ; mon teint est nacré, poudré de vraie nacre, mes lèvres sont de corail, poudrées de vrai corail. Les couleurs aussi ont été recollées trop vite, les feuilles sont carmin ou pourpre, les fruits sont verts dès qu’ils sont mûrs.

« Ici l’on peut avoir sans peine tous vos sons et vos parfums d’Europe. Pour écouter le bruit des peupliers, je n’ai qu’à fermer les yeux, m’étendre dans la grotte sous-marine, et écouter le bruit de la mer sur les galets. Pour entendre un murmure qui ressemble à celui de la messe, avec des prie-Dieu qui claquent, je n’ai qu’à ne pas dormir la