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du rivage, un phoque assommé au moment où il regagne la mer. J’avais appris tout ce qu’une femme, en répulsion, en pitié, peut apprendre des hommes ; j’avais tout ce que vingt hommes peuvent jeter de gages, dans un jeu, sur un tablier de jeune fille, anneaux gravés à Rotterdam, lunettes, et en trousseaux de clefs de quoi ouvrir, d’abord vingt coffrets et cantines au fond de la mer, puis vingt armoires dans Wiesbaden ou Cardiff, plus une grande clef comme une clef de cave. J’avais le portrait de Sophie Silz en décolleté devant cette fausse mer en toile que les photographes installent pour les amies des marins ; celui de Bertha Krappenau, en travesti, en faux tyrolien, mais auprès d’un vrai lac, sur une vraie barrière ; j’avais le Petit Éclaireur.

Je n’avais pas rallumé mon feu. Je n’avais pas hissé mon pavillon. Aujourd’hui j’avais peur des hommes. D’instinct je me protégeais contre ces cent millions d’ennemis dont j’apprenais l’existence. Cette île qui avait gagné, par ma présence, je ne sais quelle vie et quel aspect français, en une minute je l’eus sans presque y songer maquillée, et rien n’y eût exaspéré le capitaine d’un corsaire allemand. Tous ces perroquets qui parlaient français je les attirai au centre de l’île par des graines de tournesol et le rivage en fut