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jardins, tant les paniers débordaient, sans qu’on pût trouver notre trace aux cassis, aux framboises, aux fraises, et ceux des chiens qui aiment mieux les fruits que les larves nous suivaient de préférence aux charrues. La nuit, par la fenêtre ouverte, on entendait selon la saison des chutes molles ou dures ; c’étaient les abricots ou les noix qui tombaient. Parfois, en été, nos parents couchaient aux domaines et après le dîner nous rentrions seules. D’abord raisonnables, par la route de grès, sur laquelle sonnaient nos talons, puis par les prairies, nos souliers à la main, puis, les pieds enfin nus, par le ruisseau lui-même. Nous allions à la nuit sans laisser de traces. Au ras des champs de blé noir, tout rouges et noirs, le soleil était encore assez large pour que s’y encadrât une de nos têtes, ou, tout entière, celle de nous qui s’éloignait un peu. Nous jouions à nous cacher, oubliant de désigner la chercheuse, et chacune restait étendue, sans mot dire, sans un geste, bientôt ignorée d’elle-même. La première caille rappelait, les signaux des oiseaux déjà étaient valables pour nous, nous repartions. Il faisait nuit. La louange au beau temps était passée subitement des grillons aux crapauds. Un vieux paysan nous saluait et s’attirait quatre saluts tout clairs. Juliette s’appuyait à mon bras, devant