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le nom, et gâte pour lui, éternellement, la grande et la petite amitié.

À midi, j’avais l’habitude d’aller au rocher Claudel. Le courant effleurant l’île juste à ce point, tout ce que m’envoyait l’univers abordait là, et je m’y rendais comme à la seule distribution de cette poste, qui jadis m’avait apportée moi-même. Tous les mois, un déchet de l’Europe ou un cadeau presque neuf de l’Océanie m’y attendait, mais le plus souvent je n’en revenais, au bout d’une ou deux heures, qu’avec mon ombre. Ce jour-là justement, collé par le flux au rocher, imposé par une mer insistante, flottait un corps de chien. Il était déjà gonflé. C’était bien cet animal dont le cadavre est le seul cadavre en France que l’on voie couramment, qui y rende le pire destin familier aux enfants, traversant tout Paris, dernière pudeur, toujours par l’arche du milieu. Mais ici, grâce au remous, il s’acharnait à vouloir mettre hors de l’eau, à tirer à sec ce symbole de la mort. Je l’écartai d’autant de coups de gaffe qu’un policeman anglais qui voit un vrai chien vivant aborder en Angleterre. C’était un caniche. Il s’écartait une seconde, puis revenait,