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cette nuit-là ; pas une des combinaisons ne fut oubliée. Une fusée monta, d’abord dédoublant les étoiles, puis dédoublant la nuit. La dernière fois que j’avais vu une fusée, c’était du toit avec Ceorelle, le jour du 14 juillet. Peut-être était-ce encore fête ? Ou un fils de roi était-il né, ou deux jumeaux, car l’on avait tiré plus de cent une fois… Soudain, la gerbe d’un projecteur se promena sur les flots, avec quelle lenteur, s’immobilisa bêtement sur de petits remous qui m’étaient familiers et que je savais à peine creux d’un mètre, tourna et retourna autour d’une écume comme un cheval autour d’un chapeau, enfin atteignit l’île. Il resta figé une minute, hébété d’avoir heurté une masse solide ; je courus vers lui, effleurée par les oiseaux qui le fuyaient, tendant la main comme un naufragé vers une corde ; il bougeait de quelques mètres, je regagnais à nouveau le centre de la gerbe, je me faisais traverser par le rayon du milieu, j’agitais les bras, je me débattais, je criais. Mais, comme le regard d’un ami vous touche dans une foule et ne vous reconnaît pas, vous voit toute nue vous débattre, agiter les bras et ne vous reconnaît pas, il s’éleva soudain, se redressa comme la cheminée d’un navire qui a passé sous un pont, se redressa de toute sa taille sous cette arche obscure, et s’éteignit.