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effarouche et ne les dissocie, c’est-à-dire à mon enfance. J’imaginai mes premières classes. Je repartis, pour planter à nouveau ma mémoire, du lieu où j’étais née, des premières leçons de géographie ou du catéchisme, des premières phrases apprises par cœur…

Il était temps… Sur les dix communes du canton de Bellac, l’une déjà m’avait pour toujours échappé, et les autres, Nantiat, Le Breuil-au-Fa, Blond, tournoyaient déjà en moi comme des insectes un peu somnolents dans une salle dont on ouvre la porte : un peu de soleil, et Nantiat, et Blond s’envolaient pour toujours. Des péchés capitaux, l’un aussi ne vint pas et se déroba jusqu’à ma délivrance. Vingt fois, cent fois, je répétai leur liste ; parfois au hasard, soudain, dans l’espoir de me surprendre moi-même dans je ne sais quel flagrant délit avec le péché absent ; ou bien essayant d’en découvrir un indice dans mes gestes, quand je me redonnais ce que mes amies et moi nous appelions à la pension notre mauvais être : étendue, la tête redressée par un coussin, je regardais mon corps se gonfler des défauts de l’air. En vain. Le mensonge, la paresse, l’immodestie passaient au-dessus de lui comme les plus légers nuages ; la gourmandise, l’envie, l’orgueil arrivaient sur lui dans un ordre aussi inoffensif