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ter prise dans ce filet d’Europe. Puis, le soir du troisième jour, tous les paradisiers luttèrent ; un seul, le plus faible et le plus petit, fut tué, et, comme si la plus légère proie de l’île lui avait suffi, le printemps disparut. Les fleurs déjà perdaient de leur éclat comme les plumes d’un oiseau tué. Heureuse encore si d’ici le printemps prochain j’avais trois jours d’hiver !

D’autres mois passèrent. Celui où je fus mordue par un poisson, celui où je me coupai le doigt, et ils marquaient sur moi comme des coches. Entre les eaux pures et les fruits j’avais maintenant ces habitudes ou ces sciences qu’on prend en Europe entre des vins et des cuisines. Il y avait une source que je préférais ; je savais mon meilleur bananier, ma meilleure mangue. Ce que l’on ne peut distinguer sans diplôme, je le confondais peut-être encore ; je fus malade, et me crus triste. Je grelottai de fièvre et crus que j’avais froid. Soudain je sentais des ressorts de mon âme, insoupçonnés, éclater comme des baleines dans une étoffe qui vieillit, et me révéler mes vraies qualités. Je découvris un jour que j’étais brave, de cette façon, à un craquement en moi. Désormais je renonçai à la peur. Un