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sais ; ainsi je verrais du moins des bourgeons pousser, des rameaux verdir : je venais chaque jour ramasser chaque feuille, j’allumais le feu à leur tas, de cette loupe qui me faisait voir toujours deux ou trois fois grandeur nature l’objet que j’allais détruire ; je pus une minute voir une feuille morte trois fois plus grande, un automne trois fois plus grand que ceux d’Europe… mais bientôt je compris le malentendu, l’arbre était mort pour toujours. Pas de saisons. Je cherchais leurs traces des heures entières, dans les collines, dans les gazons, obtenant une minute un faux printemps grâce à mille perruches d’un vert nouveau sur un bosquet, un faux hiver toute une nuit grâce au faux givre de la nacre… mais désorientée dans ma marche et mes promenades, comme si l’on m’avait enlevé, avec elles quatre, mes quatre points cardinaux.

Or, un matin, je fus éveillée par des cris d’oiseaux inconnus. L’île tout entière n’était que vacarme. J’essayais de voir ces nouveaux hôtes qui venaient de s’abattre par myriades autour de moi. Mais je ne distinguais, immobiles sur leurs branches ou à leur place habituelle, que les mêmes gourahs, les mêmes passereaux, les mêmes adjudants. Des improvisations entières de rossignols, des chants de merle, de canari, mais j’essayais