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de résine fraîche mêlée aux pollens ; des lotions obtenues de mon arbre à sucre ; toujours trop capiteuses, mais, une fois enduite dans l’eau de la source et puis séchée par le soleil, j’étais certainement ce qui sentait le meilleur de l’archipel entier… J’avais mes onze poudres de riz, celle qui me rendait scintillante, de nacre pilée ; celle qui m’assombrissait ; celle qui me teignait de rouge ; celle, plus chair, que j’eusse mise à Limoges pour le bal du préfet, et je me séchais au buvard dans la grande feuille du bananier gris… Européenne sacrilège, tout ce par quoi les Polynésiens honorent leurs morts, je le faisais à moi-même. Ces châteaux de bois au faîte des arbres où se consument leurs cadavres, je m’y étendais, remuante, sujet d’étonnement pour de petits éperviers venus d’îles où l’on mourait ; je m’enduisais d’huile de palme et de mica, et tous ces honneurs et soins qui calment les fantômes, j’en étais moi-même adoucie. Si je me négligeais un jour, par chagrin, mon fard s’écaillait vite, et mes plus petites tristesses semblaient des sorties d’orgie, mais cela passait vite. Et enfin vint le premier soir où, de calme, j’allai dormir dans le centre de l’île, au lieu de m’étendre près de la mer parallèle à je ne sais lequel de ses mouvements, juste au centre de l’île, sacrifiant